Avertissement
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Le texte qui suit est le fruit d'une expérience personnelle tirée essentiellement du dépouillement de nombreux registres paroissiaux
catholiques. Cette expérience est limitée dans le temps (1670-1792)[1]
et dans l'espace (Picardie et Cambrésis). Il ne faut pas perdre de vue que l'histoire des autres provinces françaises est différente
et qu'elle a eu des répercussions évidentes sur la tenue et la conservation des registres.
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Introduction
L'histoire familiale du XXe siècle nous permet de connaître, dans la plupart des cas,
la religion des individus de nos familles. En remontant dans le temps, l'exercice est plus difficile. Depuis son avènement,
en 1792, la République ne s'est guère souciée officiellement de la religion des individus [2],
sauf lors du recensement de 1851, et l'état civil est muet en ce domaine. Avant 1792, le problème est complexe.
Pendant la petite période qui s'est écoulée entre fin 1787 (édit de Tolérance) et 1792, on trouve quelques mentions
spécifiques aux protestants.
Pendant les cent années qui se sont écoulées entre 1685 (Révocation de l'édit de Nantes) et 1787, la seule source
disponible, ou presque, est constituée par les registres paroissiaux catholiques. C'est donc dans ces derniers qu'il s'agit de
discerner les protestants. Car nombreux sont ceux qui sont restés en France, malgré une émigration massive, et beaucoup de nos
contemporains cherchant leurs racines ont des chances de tomber à un moment ou un autre sur des ancêtres protestants. Bien que
moins connue que les Cévennes dans la mémoire collective, la région picarde a été l'objet d'une présence protestante importante.
Pendant les cent années évoquées ci-dessus (le temps de trois générations), les prêtres ont été les seuls
« officiers d'état civil » légaux. Or ils n'enregistraient pas des naissances, des unions et des décès,
mais des baptêmes, des mariages et des sépultures, la nuance est importante, faits suivant les rites catholiques, le protestantisme
étant, en principe, éradiqué du royaume. Comment dès lors retrouver, identifier ce qui n'était pas, ce qui ne pouvait pas être
officiel pendant plus d'un siècle ? En fait, des protestants restés dans le royaume ont cherché, en assez grand nombre, à se
soustraire plus ou moins à cette « catholicisation » forcée de leur vie. On en retrouve la trace dans les registres paroissiaux
catholiques, à condition de lire attentivement. Il existe parfois des mentions explicites, mais le plus souvent il n'y a que des
signes, des indices, rarement suffisants quand on les prend isolément, mais dont l'accumulation finit par forger
une conviction.
Avant la Révocation de l'édit de Nantes, il y a eu des registres paroissiaux protestants pendant la période
d'application de l'édit. Mais malheureusement beaucoup de ces registres ont disparu. Reconstituer les familles avant la révocation relève,
la plupart du temps, du grand art.
Les Prénoms
Le prénom peut constituer le premier indice visible quand on s'intéresse à une personne. La lecture assidue
de la Bible, qui était de rigueur chez les huguenots, les a familiarisés avec des personnages dont ils ont voulu donner les
prénoms à leurs enfants, suivant ainsi les directives d'un synode. Ainsi peut-on affirmer sans crainte, que la quasi-totalité des porteurs
de prénoms de l'Ancien Testament biblique, trouvés dans les registres, sont des enfants protestants. On ne peut pas imaginer qu'il s'agit
d'enfants juifs car à l'époque les juifs ne sont pas recensés par les autorités catholiques.
Les parents qui ont donné ces prénoms à leurs enfants, étaient bien évidemment
eux-mêmes protestants. Ceci ne veut pas dire que tous les enfants protestants avaient des prénoms bibliques, loin s'en faut, mais
que l'usage des prénoms cités ci-dessus n'avait pas cours dans le monde catholique de l'époque, sauf rares exceptions (il s'agit
le plus souvent de perpétuation de prénoms de famille, qui traduisent la présence d'ancêtres protestants plus lointains). Cette
constatation n'est pas valable seulement en Picardie, elle est vérifiée aussi en Normandie, en Suisse francophone et en Dauphiné. Cet usage
a perduré chez les protestants jusqu'à la fin du XIXe siècle, mais après la Révolution ces prénoms bibliques se sont aussi répandus
dans le reste de la société et sont donc devenus moins caractéristiques. Une liste de prénoms se trouve sur
cette page.
Les Baptèmes
La majorité des Français des temps lointains était catholique. Les couples se mariaient devant le curé et les enfants
étaient dits « légitimes » ou « nés de légitime mariage » même si les parents étaient peu assidus à la messe. Juste après la révocation,
les couples mariés antérieurement par des pasteurs ont été considérés comme « valides » et les enfants nés de ces couples ont été considérés
comme « légitimes ». Cette qualification n'empêche pas de s'intéresser aux prénoms, comme il est dit ci-dessus. Juste après la révocation on
trouve parfois dans une paroisse le baptême de plusieurs enfants d'âges variés appartenant à la même famille, il s'agit évidemment d'un
« re-baptême » par le curé en vue d'une mainmise de l'Église sur les enfants.
Mais les protestants ont très vite cherché à échapper au mariage selon le rite catholique. Quand ils l'ont pu, ils se sont
adressés à un pasteur clandestin de passage, ils ont parfois vécu en couple avec la seule bénédiction de leurs parents (pour les protestants le
mariage n'est pas un sacrement) ou sont allés faire bénir leur union au-delà des frontières quand la possibilité en a été offerte[3]. Au même titre
que les enfants bâtards, les enfants de parents protestants non mariés par un prêtre sont souvent dits "illégitimes", parfois même le prêtre ne
cite pas le nom du père et l'on a l'impression que l'enfant est un bâtard classique de père inconnu. Dans ces cas-là cas c'est seulement par le
mariage de l'enfant en question, vingt ans plus tard, que l'on apprend la filiation complète et que l'on peut le réintégrer dans sa fratrie.
Certains prêtres ne font mention ni de légitimité, ni d'illégitimité : « Aujourd'hui a été baptisé Jean, fils de Jean N. et de
Madeleine X. » ; Cette absence de précision, qui peut est à interpréter avec prudence. Pour d'aucuns cela correspond à une pratique courante,
pour d'autre cela peut exceptionnellement résulter d'un oubli, dans un petit nombre de cas c'est la marque d'une naissance protestante.
Dans certains certains actes, et c'est le cas le plus simple pour nous aujourd'hui, le prêtre précise :
les parents sont dits non catholiques, hérétiques, adeptes de la secte de Calvin, membres de la religion
prétendue réformée (R.P.R.), etc. Dans les autres cas, une lecture attentive des actes est nécessaire et il faut analyser la
notion d'illégitimité utilisée.
Il est à noter que le 7 mars 1778, c'est-à-dire dix ans avant l'édit de Tolérance, est intervenu un jugement du
tribunal de Saint-Quentin, jugement, sur requête d'un certain nombre de huguenots picards. Ce jugement a obligé les prêtres à supprimer
cette mention d'illégitimité, voire à rajouter le nom du père quand il avait été volontairement omis dans leurs registres. Quand on
rencontre mention de ce jugement en marge d'un baptême, on est sûr d'avoir à faire à un enfant protestant.
Le baptême, par un prêtre, des enfants protestants était un baptême forcé, puisque les parents n'avaient pas le
choix du « baptisant ». Dans un petit nombre de cas, on a noté que la sage-femme (assermentée et donc forcément bonne catholique) fait
fonction de marraine et que le clerc laïc (scribe local appelé aussi clerc séculier) sert simultanément de parrain ; on peut
penser qu'il s'agit de cas où la famille, pour manifester son rejet de ce baptême forcé, refusait d'apporter le nouveau-né à
baptiser à l'église et refusait de participer à l'événement. La présence de ces parrain et marraine particuliers est un signe
à ne pas négliger. Parfois aussi il est noté que le père est absent, ce qui a contrario montre qu'habituellement
le père est présent. Cette absence du père est également un indice, mais moins significatif puisque les motifs d'absence peuvent
être variés (maladie, déplacement, etc.) et que dans certains villages et à certaines époques l'absence du père est assez générale.
Les choses se compliquent quand les prêtres refusaient de donner aux enfants les prénoms bibliques choisis par
leurs parents. On peut trouve ainsi un enfant nommé Abraham par sa famille et identifié comme tel à son mariage après la Révolution, mais qui a été
baptisé sous le nom de Pierre ! Il est alors nécessaire de trouver d'autres actes, pour arriver à comprendre que les deux individus
n'en font qu'un. Ces cas sont assez nombreux.
Il arrive aussi, rarement, que le prêtre mentionne qu'il a refusé, en raison de leur protestantisme, les parrain
et marraine choisis par les parents. C'est lui qui désigne les remplaçants. Il n'y a alors pas de doute sur la religion des parents
et de l'enfant. Mais il arrive aussi que certains curés complaisants permettent aux parrain et marraine choisis par les parents
d'assister au baptême et même de signer le registre, bien qu'ils ne soient pas nommés dans l'acte. La présence d'un double couple
de parrains et marraines est un signe majeur, surtout quand les parrain et marraine présents mais non mentionnés dans l'acte sont
membres de la famille.
Il est aussi intéressant de regarder le délai qui s'écoule entre la naissance et le baptême.
Le concile de Trente a prescrit de baptiser dans les trois jours suivant la naissance. Pour les enfants catholiques, les deux
événements sont aussi proches que possibles, très souvent dans la même journée. Quand on trouve des délais supérieurs, qui
peuvent atteindre jusqu'à huit jours, c'est sans doute le signe de familles protestantes qui traduisent ainsi leur résistance.
Cette obligation d'apporter l'enfant à l'église dans les plus brefs délais est certainement responsable d'une part de la mortalité
infantile hivernale.
À une époque où les écoles étaient peu fréquentées, les protestants apprenaient à lire à la maison pour les besoins
du culte familial. On retrouve, sur les actes paroissiaux, bon nombre de signatures de femmes ou de jeunes filles protestantes, il
semble que les femmes ou filles catholiques n'aient pas dans la même proportion su écrire et signer. Le fait que les marraines
sachent signer au début du XVIIIe siècle est un dernier signe à ajouter aux autres.
Les mariages
Faute d'alternative, beaucoup de protestants se sont mariés devant le prêtre dans les années qui ont suivi la
Révocation. Mais quand Nathanaël épouse Judith devant le prêtre, vers 1695, il faut se demander ce que ce couple deviendra ! Un acte
de mariage devant le prêtre n'est donc pas en soi une preuve suffisante de bon catholicisme. Par ailleurs, dès la révocation de
l'édit de Nantes, il n'y a pas eu pour les protestants restés en France que des mariages devant un prêtre. Malgré les risques, il
y a eu des pasteurs clandestins itinérants, qui ont béni des mariages, le problème majeur est que leurs registres, s'ils ont existé,
ne sont qu'exceptionnellement parvenus jusqu'à nous.
À partir du premier traité de la Barrière (1709), de nombreux couples ont également profité de la proximité de la frontière pour faire bénir leur mariage à
l'étranger. Quand un mariage est célébré à Tournai (Pays-Bas espagnols), devant un pasteur de la garnison hollandaise[4],
il est évident que le jeune couple est constitué de deux protestants convaincus. En effet, ce voyage à l'étranger n'est pas sans
risque : le franchissement de la frontière du royaume sans autorisation est punissable des galères pour les hommes et de la
prison à vie pour les femmes, de la confiscation des biens et de l'enfermement des enfants dans des établissements religieux pour
les « remettre dans le droit chemin ». Les registres des Églises de la Barrière sont donc des sources complémentaire précieuses. On trouve
parfois dans quelques registres catholiques[5],
los d'un baptème, la mention par laquelle le prêtre évoque le mariage à Tournai des parents. Ces mentions sont d'autant plus précieuses
que les registres de Tournai ont disparu pour la période comprise entre 1709 et 1749.
La mention de la naissance d'un enfant né d'illégitime mariage, ou né dans mais non de légitime mariage
confirme qu'il y a eu mariage, encore une fois hors de l'Église officielle. La trace écrite dudit mariage protestant est la plus
part du temps impossible à trouver. Les pasteurs itinérants risquaient la pendaison, ils ne portaient sans doute pas sur eux des
registres compromettants, non seulement pour eux mais aussi pour ceux dont ils maintenaient la foi. Ce sont des mariages « Au Désert ».
Ils délivraient des « certificats », lesquelsont eux-mêmes malheureusement souvent disparu au fil du temps, la liberté retrouvée ayant
pour beaucoup fait décroître l'intérêt des archives familiales relatives à ces temps difficiles.
Le désir d'échapper aux mariages "mixtes" explique le fort taux de mariages contractés entre un nombre
restreint de familles (endogamie[6] ). La volonté de ne pas unir de trop proches cousins explique en partie le souci de nombreux
chefs de famille de tenir à jour une généalogie précise depuis des temps fort anciens. Ces documents sont pour ceux qui les possèdent des
sources précieuses car, malgré leurs imprécisions, sur les dates et les lieux, ils permettent de pallier les destructions de registres
dues aux guerres ou autres événements.
Les décès
Il n'est pas rare que l'on ne trouve pas trace du décès des adultes protestants. Ceci s'explique de plusieurs
manières. Il y a des familles qui ont émigré et les décès ont eu lieu à l'étranger. Il y a lieu alors de chercher dans les archives
des Églises des pays du Refuge, mais la quête est difficile quand on ne connaît pas la destination des émigrants.
Il y a les décès pour lesquels le prêtre a refusé d'inhumer, il n'y a donc pas eu d'acte dans les registres
paroissiaux catholiques. Il arrive parfois que le prêtre note que l'intéressé a été enterré dans son jardin ou dans son champ,
les « mécréants » n'ayant pas droit à être enterrés dans les cimetières en « terre sainte », sans doute par crainte que l'hérésie ne
soit transmise par les cadavres ! Mais il arrive aussi que le prêtre n'évoque simplement pas l'événement. La trace de celui-ci est
alors à rechercher dans les archives de justice. Il y a, par exemple, aux Archives de l'Aisne un registre tenu par la justice de
Saint-Quentin pour enregistrer les inhumations des protestants hors des cimetières, avec tout le formalisme et les frais entraînés
par l'application de l'article 13 de la déclaration du roi du 9 avril 1736. Quand on trouve un tel registre, le problème de la religion
est éclairci.
La plupart des actes de décès mentionnent que le défunt a été muni des sacrements de l'Église. Le rituel
catholique de décès comporte trois sacrements : la pénitence après confession des péchés, le saint viatique (eucharistie)
et l'extrême onction (onction d'huile sainte). Quand le prêtre note que l'un (ou plusieurs) de ces sacrements fait défaut, on
peut commencer à se poser des questions sur la religion de l'intéressé. On trouve un certain nombre d'actes dans lesquels le prêtre
note que le défunt est mort subitement, sans qu'il ait été prévenu, ou qu'il n'a pas pu recevoir le saint viatique parce
qu'il était atteint de toux ou de vomissements, etc., tous ces éléments, tous ces signes sont à peser en fonction du contexte : ils
peuvent éclairer la mort d'un huguenot.
Il y a par contre des actes de décès plus explicites dans lesquels le prêtre affirme avoir fait tout son possible
au cours de la maladie de l'intéressé pour le ramener dans le giron de la sainte Église apostolique et romaine, mais sans succès. On
trouve aussi parfois la mention RSE (Refusant les Sacrements de l'Église).
Il y a enfin des actes d'inhumation douteux, dans lesquels il est noté que les sacrements ont été administrés à
des individus dont on sait par ailleurs qu'ils étaient farouchement protestants (mariés à Tournai, par exemple). S'agit-il de
complaisance du prêtre qui connaît bien ses paroissiens et ne veut pas de vagues dans sa paroisse (et pas d'ennuis avec son évêque)
ou bien s'agit-il d'un compromis, accepté par la famille, pour que le défunt ait une sépulture comme tout le monde ? Il est difficile de
répondre, toujours est-il que l'acte d'inhumation avec sacrements n'est pas suffisant pour affirmer que le défunt est vraiment
catholique.
Le prêtre ne peut pas refuser d'enterrer les enfants de protestants, puisqu'ils sont réputés être catholiques
(et appartenir à l'Église, suivant le droit canon), par leur baptême forcé ! Pour le décès des très jeunes enfants catholiques,
on constate que le plus souvent les témoins sont le père de l'enfant et son parrain. Quand le père est absent et que les
témoins sont le clerc séculier et le fossoyeur, il y a de fortes présomptions qu'il s'agisse d'un refus de rites catholiques, il
faut alors regarder attentivement les autres indices. Sur certains actes le prêtre a précisé « père présent », comme si
ce fait était pour lui aussi étonnant, aussi anormal que pouvait l'être l'absence en d'autres cas. Il y a lieu de s'interroger
sur cette mention.
On remarque enfin à cette époque dans un certain nombre de cas de décès d'enfants plus grands, que les témoins à
l'inhumation sont le père et la mère. En Picardie, il s'agit presque toujours de familles protestantes. Dans la période considérée, les
femmes protestantes semblent avoir pris plus d'initiative, avoir joui d'une plus grande liberté en ce domaine et avoir assisté à
ces événements plus tôt que leurs consœurs catholiques. Là encore il faut s'intéresser aux signatures de l'acte, comme dit plus haut.
Les abjurations
Les abjurations, peu nombreuses, ont souvent lieu dans une paroisse voisine de celle du lieu de résidence. Elles
attestent du protestantisme des individus jusqu'à une certaine date. L'abjuration peut être obtenue par divers moyens de pression,
dont financiers, voire par des tracasseries infinies. Elle peut être aussi motivée par la volonté d'entrer par mariage dans une famille
catholique, voire par le désir de continuer à exercer certaines charges, comme celles de notaire ou d'huissier, ou d'exercer certains métiers
contrôlés comme celui de chirurgien ou de sage-femme.
L'abjuration obtenue sous la contrainte, n'empêche pas le maintien du culte familial clandestin, elle est parfois
suivie d'émigration. Malgré l'abjuration on assiste souvent à un refus de sacrements, à une réaffirmation de la foi des ancêtres au
moment du décès. Les protestants ayant abjuré sont parfois appelés « nouveaux convertis » dans les actes. Ceux qui reviennent sur
leur abjuration sont relaps et risquent des peines infamantes [7].
Les professions
Quelques professions constituent des signes à ne pas négliger. Le métier de colporteur, de marchand ambulant est
à regarder avec une attention particulière. Il s'agit là de métiers qui ont beaucoup servi à faire circuler les « livres interdits »,
en particulier la Bible.
Certaines professions étaient interdites aux protestants, en particulier celles comportant des attributions
juridiques. Après la révocation de l'édit de Nantes les nobles, les officiers, les notaires, les juges, les avocats, etc., sont
obligatoirement catholiques. Le maintien de ces professions dans une famille connue pour son protestantisme indique indubitablement
qu'il y a eu abjuration.
Bien qu'il ne s'agisse pas d'une exclusivité, la profession de meunier semble avoir été exercée en Thiérache
par un nombre particulièrement élevé de protestants. Il est certain que le barrage créé sur une rivière pour alimenter un moulin
en eau donne la possibilité de franchir cette rivière discrètement sans passer par les ponts plus étroitement surveillés. Par
ailleurs les moulins sont des lieux de passage et d'échange favorables à la propagation des nouvelles et des idées, en particulier
religieuses.
Les marguilliers sont des membres du conseil de fabrique, connus et influents. Quand un curé note qu'un individu
a demandé à être autorisé à payer une cloche pour être dispensé de cette fonction, on peut aussi y voir un signe.
Les autres actes civils
Les prêtres surveillaient les mœurs, notaient les filles-mères, les bâtards, etc. Ces derniers ne pouvaient pas
hériter. Or, en droit, les enfants de couples non mariés par le prêtre étaient des bâtards. Compte tenu d'une évolution de la
justice, qui a peu à peu tranché plus en équité qu'en droit strict, les protestants ont beaucoup eu recours aux contrats de mariage
et aux testaments pour justifier les filiations et faciliter les héritages. Ces documents notariés avaient un coût, mais ont permis une
transmission du patrimoine. Les fonds notariaux sont donc à consulter en sus des registres paroissiaux. Ils donnent un éclairage
complémentaire très utile, en particulier les témoins aux contrats de mariage permettent de reconstituer assez bien l'état d'une famille
à une date donnée. C'est ainsi qu'à Essômes-sur-Marne un contrat du 3 août 1721 comporte jusqu'à trente témoins ! Malheureusement les
fonds notariaux de l'Aisne sont très incomplets.
Conclusion
Les protestants n'ont retrouvé officiellement un état civil autonome qu'avec l'édit de Tolérance, en 1787.
C'était l'existence reconnue dans la paix civile, mais pas encore l'égalité des droits. Toutefois il faut remarquer que l'application
de l'édit a donné lieu à des formes variées d'actes. On trouve tout d'abord dans des paroissiaux catholiques des « réhabilitations
de mariages », essentiellement de ceux bénis à Tournai, grâce aux certificats produits par les mariés. Ceux-ci en profitent pour faire
inscrire dans l'acte les enfants issus de leur couple, même quand ceux-ci ont été baptisés en leur temps au sein de l'Église catholique.
Des événements postérieurs à l'édit peuvent aussi figurer dans les paroissiaux catholiques, les acteurs étant désignés comme
« protestants » ou « non-catholiques ». On peut trouver également des registres particuliers ouverts dans les bailliages pour
l'enregistrement des actes d'état civil des protestants, malheureusement ils sont rares.
Il est difficile, avec trois cents ans de recul, de peser la profondeur de la foi des uns et des autres. A force
de fréquenter les actes, on se fait néanmoins une idée sur ceux qui étaient des militants et qui ont subi les dragonnades, la prison,
la confiscation des biens ; ceux qui ont pris des risques pour eux, leur famille et leurs biens et qui ont tout quitté pour tenter
l'aventure de la liberté de conscience dans l'émigration ; ceux qui sont restés, qui ont courbé l'échine sous la tempête, mais qui
ont gardé et transmis leur foi à leurs descendants ; ceux qui pour quelques avantages matériels ont tourné le dos à leur famille,
à la foi de leurs pères… Ils font tous partie de cette petite histoire de la Picardie.